Walt Whitman « Song of Myself »

Mardi 5 avril 2016, par Sophie Bauchède

Whitman

Biographie de Walt Whitman, poète et humaniste américain :

  • 31 mai 1819 : naissance de Walt Whitman aux États-Unis dans une ferme près de l’actuelle South Huntington, à Long Island, New York. Il est d’ascendance anglaise puritaine par son père, et hollandaise et quaker par sa mère.
  • Durant sa vie, Whitman exerce divers métiers (typographe, instituteur, charpentier), mène souvent une existence bohème et, en tant que journaliste, prend des positions anti-esclavagistes.
  • En 1855, il imprime lui-même ses « Feuilles d’herbe », recueil qui passe d’abord totalement inaperçu.
    Son influence sera déterminante, d’abord en Angleterre puis pour un grand nombre de poètes américains du XXe siècle.
  • 26 mars 1892 : mort de Whitman à 72 ans, à Camden, New Jersey. Il est inhumé au cimetière d’Harleigh, dans une tombe qu’il a conçue.

Une de ses citations est gravée sur le flanc d’un rocher au Parc provincial de Bon Echo en Ontario, au Canada. Ce sont ces trois vers d’un de ses poèmes :

My foothold is tenon’d and mortis’d in granite
I laugh at what you call dissolution
And I know the amplitude of time.

Traduction :

Mes deux pieds sont tenonnés et mortaisés dans le granit
Je ris de ce que vous appelez dissolution
Et je connais l’amplitude du temps.

Voici un extrait d’une lettre extrêmement élogieuse du philosophe Emerson à Walt Whitman :
« Je ne suis pas aveugle à la valeur du don merveilleux qu’est « Leaves of Grass ». Je trouve que c’est le plus extraordinaire trait d’esprit et de sagesse que l’Amérique a connu jusqu’à présent. »

Il y a quelques années de cela, lors d’un séjour à San Francisco, je me promenais dans ses rues et plus précisément entre Market et Mission, je pousse la porte d’une librairie.
Le hasard a fait que je suis tombée sur un petit bijou : un livre d’une cinquantaine de pages, une publication complète de
« Song of Myself », paru dans la 1re version de « Leaves of Grass » en 1855, qu’un éditeur avait décidé de ressortir en 2001.
Quel plaisir et quelle joie de lire ce chef d’œuvre de la littérature américaine !

Alors, me direz-vous, qu’est ce que ce poème au titre bien étrange ?
« Chant de moi-même » (Song of Myself) consiste en une vision d’un « moi » symbolique, embrassant indirectement toute l’humanité et tous les lieux, de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique.

Ci-dessous un extrait en anglais, suivi de sa traduction en français.
J’espère que ce petit extrait d’un très beau poème du « géant des Amériques », un maître incontestable de la littérature américaine, vous donnera envie de poursuivre la lecture de
« Song of Myself ».

La semaine prochaine, nous retournerons sur le Vieux Continent.


SONG OF MYSELF

[1]

I celebrate myself,
And what I assume you shall assume,
For every atom belonging to me as good belonged to you.
I loafe and invite my soul,
I lean and loafe at my ease… observing a spear of summer grass.

[2]

Houses and rooms are full of perfumes, the shelves are crowded with perfumes,

I breathe the fragrance myself and know it and like it,

The distillation would intoxicate me also, but I shall not let it.


The atmosphere is not a perfume… it has no taste of the distillation… it is odorless,
It is for my mouth forever… I am in love with it,

I will go to the bank, by the wood and become undisguised and naked,
I am mad for it to be in contact with me.



The smoke of my own breath,

Echoes, ripples, buzz’d whispers… love-root, silkthread, crotch and vine,

My respiration and inspiration… the beating of my heart… the passing of blood and air through my lungs,

The sniff of green leaves and dry leaves, and of the shore and dark color’d sea-rocks, and of hay in the barn,

The sound of the belched words of my voice… words loosed to the eddies of the wind,

A few light kisses… a few embraces… a reaching around of arms,

The play of shine and shade on the trees as the supple boughs wag,

The delight alone or in the rush of the streets, or along the fields and hillsides,

The feeling of health… the full-noon trill… the song of me rising from bed and meeting the sun.



Have you reckon’d a thousand acres much ? Have you reckon’d the earth much ?

Have you practised so long to learn to read ?

Have you felt so proud to get at the meaning of poems ?


Stop this day and night with me and you shall possess the origin of all poems,

You shall possess the good of the earth and sun… there are millions of suns left,
You shall no longer take things at second or third hand… nor look through the eyes of the dead… nor feed on the spectres in books,
You shall not look through my eyes either, nor take things from me,

You shall listen to all sides and filter them from yourself.

(...)

Walt Whitman




CHANT DE MOI-MÊME

[1]

Je me célèbre moi,
Et ce que je tiens pour vrai sera ta vérité,
Car tout atome qui m’appartient t’appartient aussi à toi.

Je flâne et convie mon âme,
Je me penche, flânant à loisir… pour observer un brin d’herbe d’été.

[2]

Maisons et chambres regorgent de mille parfums… les étagères débordent de parfums,
J’en respire moi-même l’arôme, je le connais et je l’aime,
Cette quintessence pourrait m’enivrer à mon tour, mais je saurai lui résister.

L’air n’est pas un parfum… il n’a pas goût de cette quintessence… il est inodore,
Elle est pour ma bouche à jamais… j’en suis énamouré,
J’irai sur le talus près du bois et je quitterai mon déguisement et me mettrai à nu,
Car j’aime à la folie éprouver son contact.

La buée de mon propre souffle,
Des échos, des ondulations, des murmures feutrés… racine d’amour, fil de soie, fourche et vigne,
Ma respiration, mon inspiration… les battements de mon cœur… le passage du sang et de l’air dans mes poumons,
L’odeur des feuilles vertes et des feuilles sèches, du rivage de la mer et de ses sombres roches, et du foin dans la grange,
Le son des mots criés par ma voix … mots livrés aux tourbillons du vent,
Des baisers à la dérobade … quelques étreintes… des bras qui enlacent,
Le jeu d’ombre et de lumière sur les arbres aux souples ondulantes ramures,
Se délecter seul ou dans la ruée des rues, au long des champs et au flanc des collines,
La sensation de bonne santé… le trille du grand midi… le chant de moi levé du lit à la rencontre du soleil.

As-tu estimé que mille acres étaient beaucoup ? As-tu estimé que la terre était beaucoup ?
Il y a bien longtemps que tu t’exerces pour apprendre à lire ?
Tu te sens très fier de pénétrer le sens des poèmes ?

Demeure un jour et une nuit avec moi et tu posséderas l’origine de tous les poèmes,
Tu posséderas tout ce qu’il y a de bon sur la terre et dans le soleil… il reste encore des millions d’autres soleils,
Tu ne recevras plus de choses de seconde ou de troisième main, ni ne regarderas plus avec les yeux d’un mort, ni ne nourriras plus de spectres qui sont dans les livres,
Tu ne regarderas pas non plus avec mes yeux, ni ne recevras des choses de moi,
Tu écouteras de tous côtés et qu’elles passent à travers votre moi.

(...)

Walt Whitman

 

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