Jacquy Gil « Viatiques »

Dimanche 17 octobre 2021, par Mots Passants

Comme l’ont certainement remarqué les quelques promeneurs égarés, tombés par hasard sur le site de Mots Passants, il y est beaucoup — mais alors beaucoup — question de poésie.
C’est bien pourquoi il nous est en permanence un grand plaisir de vous faire connaître les poètes qui comptent dans leur rapport au monde et à leur manière de l’exprimer.
Il en est ainsi de Jacquy Gil que nous avons eu le plaisir de découvrir et de connaître il y a plus d’une dizaine d’années, et qui nous surprend toujours par l’immense originalité de son écriture : non pas qu’elle soit inscrite dans une modernité qui la placerait à la limite de la compréhension, comme certains de ses confrères se plaisent à la pratiquer, mais plutôt par la constance exemplaire de son cheminement, qui nous accompagne en permanence dans un parcours de vie qui le rend à la fois solitaire et universel.
Qu’on en juge par les trois extraits que nous vous livrons aujourd’hui, tirés du recueil
« Viatiques », le bien nommé, publié aux Éditions Unicité.


VIATIQUES

Je vivais ma vie dans des montagnes imaginaires. Il y avait là un ciel qui éclairait les nuages et des vallées si profondes que même leurs mystères s’y perdaient.
Entre les deux régnaient des neiges éternelles ; de blancs et purs espaces sur lesquels je rêvais d’aller porter l’écriture de mes pas et, fussent-elles éphémères, les traces de mes pensées.
Mais, pour ce monde-ci, je n’étais que de l’absence s’agrippant sur le versant d’un nulle part : ma foi n’était pas assez grande pour donner corps aux paysages qui habitaient mon esprit.

...

La houle des blés mûrs poussait le champ hors de ses limites.
On eût dit que l’été, ici, avait ajouté un océan au paysage et que ses vagues allaient vers une infinitude qui cherchait à s’affranchir de nos regards, à rejoindre l’un de ses mystères que l’on ne saura jamais pénétrer tant ils se confinent au-delà même des étoiles.
Quelque impossible, mais dont les échos venaient s’échouer sur les plages de l’imaginaire les jours où soufflaient les grands vents de l’innocence.

...

Devant moi se déroulait tout un récit : les pierres qui jonchaient le chemin s’agençaient pour donner lieu à une sorte d’allégorie.
Nul besoin de les pousser à me dévoiler leur mystère. Du silence, qui depuis toujours les caractérisait, sourdait maintenant tout un langage auquel j’avais accès. Et c’était là comme s’il m’était donné d’entendre une voix qui, venue des origines, avait emprunté à toutes les époques.
Ainsi pouvais-je désormais parcourir toute l’histoire du monde, – en faisant seulement quelques pas.

...

Et là, au-devant de soi : l’été... soudainement venu ! – Une haie de folles avoines ! Quelque nouvel horizon ainsi à franchir. Et son au-delà : de l’inconnu, prêt peut-être à se laisser habiter par notre imaginaire, à en accepter toutes les frasques, les bizarreries.
Un espace à retranscrire qui, bien que se réduisant aux strictes dimensions d’une page, n’en serait pas moins vaste et malléable à l’infini.
Un savoir en quelque sorte, à emporter avec soi et qui servirait de viatique les jours de grands questionnements.

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