Attila József « Ma mère »

Lundi 25 septembre 2023, par Mots Passants

Qu’il nous soit pardonné cette présentation un peu longue ; elle nous a simplement semblé correspondre en tous points à la destination de Mots Passants, faire passer les mots. Pour cela nous avons emprunté à la présentation du recueil « Le Miroir de l’autre » cette citation de sa biographe Marta Vago :
« Il adorait dire des poèmes. Pas seulement les siens. Jamais je n’ai entendu présenter des vers d’une façon plus simple, plus artiste et plus douée de sens. Il éclatait de joie triomphalement aux vers les plus réussis, parfois il s’attendrissait, ému jusqu’au ravissement, il reprenait des passages. On aurait dit qu’il poussait un soupir de soulagement avec l’autre poète, à un dénouement réussi, à une tournure ingénieuse inattendue, le bras tendu, l’index levé et y mettant un accent expressif, il attirait l’attention, toujours à nouveau. C’était une telle jouissance pour lui qu’il était presque en nage, il baignait dans la splendeur de la délectation à laquelle il s’adonnait de toutes ses capacités. Avec son entendement, son élan, avec les nuances de sa voix, avec tout son corps et tout son être, il traduisait ce que lui représentait le moindre détail (...) C’est ainsi que son traducteur doit rendre sa poésie à la parole vive, la traduire “parlando” pour une lecture de vive voix. Car le plus ancien critère de l’inspiration et de la respiration d’un texte poétique — aussi bien que de l’écoute et de l’entente — demeure l’épreuve de la lecture de vive voix, “à voix hôte”. Et l’abandon de ce critère n’est peut-être pas étranger au désintérêt massif à l’égard de la poésie. L’étymologie n’est pourtant pas la seule à nous apprendre qu’à l’origine lire signifiait dire. Mieux que toute apologie d’une Poésie dont même le silence serait éloquent, la diction d’Attila József peut nous aider à rendre la parole aux poètes et à réapprendre ainsi ce que dire veut dire. »

(Présentation tirée de celle de Gábor Kardos)


MA MÈRE

Elle prit le bol à deux mains,
un dimanche, au déclin du jour,
en silence elle ébaucha un sourire
et resta assise un peu dans le demi-jour –

En un menu faitout elle ramena
de chez l’Excellence son dîner,
nous nous couchâmes et je songeais ;
ils doivent en manger toute une marmite, eux –

Elle fut ma mère, petite de taille, elle mourut tôt,
car les blanchisseuses meurent plutôt vite,
du coltinage leurs jambes flageolent,
et la tête leur fait mal à cause du repassage

Car en guise de montagnes, la lessive est là !
Pour tout jeu de nuages reposant :
les vapeurs, et pour changer d’air
la blanchisseuse n’a qu’à regagner les combles –

Je la vois qui s’arrête, le fer à la main
Sa taille fragile, le billot
la brisa, elle en devint pour toujours plus serrée –
pensez-y, prolétaires –

Le blanchissage la tassa un peu,
moi, j’ignorais qu’elle fût jeune femme,
en rêve elle portait un tablier propre,
alors le facteur la saluait –

Attila József

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