Zbigniew Herbert, 3e épisode, le 8 octobre

Jeudi 8 octobre 2015, par Mots Passants

L’histoire ne repasse jamais deux fois les plats, dit-on ! On peut le regretter ; quelquefois le souhaiter, c’est selon. En tout cas, c’est ce que semble vouloir nous dire Zbigniew Herbert… dont le recueil « Redresse-toi et va… » trouve ici son titre — ô combien — approprié !


SUPPOSITIONS AU SUJET DE BARRABAS

Qu’est devenu Barrabas ? J’ai demandé nul ne sait
La chaîne lâchée il sortit dans la rue blanche
il a pu prendre à droite aller tout droit prendre à gauche
tourner en toupie lancer un joyeux chant de coq
Lui l’Empereur de ses mains de sa tête
Lui le Despote de sa respiration

J’interroge car en quelque sorte j’avais pris part à l’affaire
Attiré par la foule devant le palais de Pilate j’avais hurlé
avec les autres libère Barrabas Barrabas
Tous criaient si j’étais seul resté silencieux
tout ce qui devait advenir serait de même advenu

Et lui Barrabas revint peut-être vers sa bande
Dans la montagne il tue vite il pille avec soin
Ou bien il a maintenant un atelier de potier
et le limon créateur
purifie ses mains souillées de crime
il est porteur d’eau conducteur de mules usurier
propriétaire de navires – l’un deux porta Paul vers Corinthe
ou bien – ce n’est pas à exclure –
il devint un indic fort apprécié des Romains

Regardez admirez le jeu étourdissant du destin
ô potentialités ô sourires de la fortune

Et le Nazaréen
resta seul
sans alternative
au sentier
abrupt
de sang

Zbigniew Herbert

 

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1 Message

  • Zbigniew Herbert, 3e épisode, le 8 octobre 15 octobre 2015 20:00, par Nicolas Courbey

    SUPPOSITION AU SUJET DE BARRABAS

    Quelle mise en parallèle entre les possibles destins de Barrabas et celui, terrible, du Christ (« le Nazaréen ») !
    Le premier, libéré par Pilate, tel que le veut la foule, selon ce poème, pourrait rester avec sa bande à voler et à tuer, ou bien se sacrifier par le « limon créateur », etc, etc, tandis que le « Nazaréen » ne peut échapper à un sanglant destin, unique et rédhibitoire : « Et le Nazaréen / Resta seul / Sans alternative / Au sentier / Abrupte du sang »
    N’est-ce pas là une cruelle ironie, rendue d’une claire évidence, par la chute de ce poème ? Et telle est la force de sa concision…

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