Tudor Arghezi « Fleurs de moisissure »

Samedi 19 septembre 2015, par Jean Gelbseiden

Tiré du recueil « Chanter bouche close », le poème de Tudor Arghezi est le récit tiré de son emprisonnement, de 1919 à 1920, au pénitencier de Văcărești. Ce sera, selon son biographe Benoît-Joseph Courvoisier, sa première expérience d’internement. Né dans la pauvreté, élevé par sa mère, il intègrera, pour des raisons essentiellement matérielles, le monastère de Cernica où il sera diacre Iosif. il quitte les ordres en 1905, et commence une vie de refus aux dictats politiques que veut imposer sa patrie.
Ce poème fait partie des nombreux poèmes qu’ont écrit les poètes au cours du temps sur les états d’âme provoqués par la privation de liberté, la poésie étant par défaut l’ultime liberté à trouver dans la sublimation de l’incarcération.


FLEURS DE MOISISSURE

C’est avec l’ongle que j’ai écrit tout cela,
Dans l’enduit d’une niche à la vide paroi,
Dans l’obscurité, solitaire,
Voyant mes forces se défaire,
Oublié du taureau, du lion, de l’aigle salvateurs,
Qui prêtèrent aux rédacteurs
Luc, Marc et Jean, un soutien fidèle.
Ce sont des rimes inactuelles
Des rimes de tombeaux,
De grand-soif d’eau,
Et de grand faim de cendre,
Ces rimes que l’on va entendre.
Lorsque mon ongle angélique s’est émoussé,
Je l’ai laissé repousser,
L’onglée n’est pas revenue –
Ou ne l’ai-je pas reconnue ?
Il faisait noir. La pluie battait au loin.
J’avais si mal. Je ne pouvais serrer le poing.
Mes doigts étaient comme des griffes croches.
Et je me forçai à écrire avec les ongles de la main gauche.

Tudor Arghezi

 

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