Aleksander Wat, poète du 22 mars

Dimanche 22 mars 2015, par Jean Gelbseiden

« Trancher dans sa dualité, communisme ou liberté, judaïsme ou christianisme » est-ce possible quand une partie de sa famille disparaît dans l’holocauste ? Sans doute que non, et Aleksander Wat le démontre dans ce texte, où s’est « carbonisée » sa mémoire.


LES SAULES D’ALMA-ATA (*)

À ma famille disparue

Où qu’il soit, un saule est un saule…

Que tu es beau dans le givre et la lumière, saule d’Alma-Ata.
Mais si je t’oublie, maigre saule de la rue Rozbrat,
puisse ma main se dessécher !

Où qu’elle soit, une montagne est une montagne…

Devant moi Tien Shan vogue dans les mauves,
lumière mousseuse et couleurs vernissées pâlissent et disparaissent.
Mais si je t’oublie, distant sommet des Tatras,
Potok Bialy où avec mon fils je rêvai à des voyages enchanteurs
bénis par le silencieux sourire de notre bonne logeuse,
puissé-je être pétrifié en rocher de Tien Shan !

Si je vous oublie
Si je t’oublie, ma ville natale…
Nuit de Varsovie, pluie et tempête
…sous la porte, le mendiant tend la main
le chien a déchiré sa robe…

Dors, petit André…

Endeuillé j’agite les bras tel un saule pleureur polonais…
Si je vous oublie,
lampadaires à gaz de la rue Żurawia, stations de mon amoureux tourment,
cœurs lumineux blottis dans la sombre pudeur des feuilles
murmure bourdonnement et pluie, cliquetis d’un fiacre sur le pavé
et douce aube aux ailes d’or…

Si je t’oublie, Varsovie combattante
Varsovie écumante de sang, belle de tes fières tombes…

si je t’oublie…
si je vous oublie…

Aleksander Wat

(*) Alma Ata : ancienne capitale du Kazakhstan et, pendant la deuxième guerre mondiale, centre de relocalisation des industries et des travailleurs soviétiques. Wat y séjourna dans l’attente de nouvelles de sa femme et de son fils.

 

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1 Message

  • Aleksander Wat, poète du 24 mars 25 mars 2015 09:02, par Nicolas Courbey

    Réaction au poème d’Aleksander Wat « ALMA ATA »

    « A ma famille disparue… »
    La nostalgie profonde, mêlée du souvenir de sa famille qu’exprime le poète est assez bouleversante : en effet si « Où qu’il soit, un saule est un saule », et « Où qu’elle soit, une montagne est une montagne », l’arbre et la montagne d’Alma Ata (Kazakhstan) ne sont pas les mêmes que ceux de Pologne, symboles de la vie d’Aleksander Wat avec sa femme et son fils — « Dors, petit André… », et il s’interdit d’oublier tout cela, ainsi que Varsovie, sa « ville natale », au point de désirer se châtier s’il lui arrivait de le faire :
    "Si je t’oublie,
    Si je vous oublie"

    dit le poète, vous ma femme et mon enfant, toi Varsovie ma mère, toi nature polonaise, eh bien que j’en crève, semble-t-il sous entendre…
    Voici un aveu et un témoignage profonds et touchants.

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