Aleksander Wat « Les Perles »

Jeudi 19 mars 2015, par Jean Gelbseiden

Paris, novembre 1956. Cette suite pourrait s’appeler « collier », ou « parure », tant est fine et subtile la description que fait Aleksander Wat de ces perles qui « aimaient ce cou ». Joaillerie, sensualité, où vont-elles se perdre ces larmes de l’âme ? On entend presque, dans son admiration pour Baudelaire, le premier vers des « Bijoux » :
« La très chère était nue, et connaissant mon âme... »


LES PERLES

Les perles aimaient ce cou. Son éclat matinal,
sa chaleur vivante, nourrie d’un teint de rose,
son pouls mélodieux et son tour statuesque…
ce cou portait les perles comme le front porte une couronne.

Chaque matin elles défaillaient, emprisonnées dans leur écrin
chaque soir elles revivaient tel un nouveau croissant,
un clair de lune reflété par le miroir,
et elles dansaient comme des folles et se pâmaient d’extase.

Un jour, elles se noyèrent avec le noble cou,
dans leur élément — ô maléfice des retours ! —
entre les buissons d’algues et les coraux, les méduses et les crabes,
flottant à l’abandon, elles se perdent en cherchant leur huître.

Leur habitat n’existe plus. Il y a longtemps que furent brisés
ces girons où le prix rejoignait la perfection.
Et les perles ? Peut-être leur éclat rassasie-t-il l’éciume
dont nous naîtra une nouvelle Anadyomène.

Mais les flots les rejetteront peut-être vers le rivage
où un jeune homme les trouvera, heureux amant.
Et dans l’étreinte noire d’une nuit tropicale
il en ceindra un cou rayonnant d’aube.

Aleksander Wat

 

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