Christine Lavant, poète du 2 août

Lundi 2 août 2021, par Mots Passants

« Tu as d’insondables motifs qui s’étendent du Ciel jusqu’à la Terre, et c’est là que tu paies nos destins, et c’est là que tu formes nos noms sur une flûte de cristal au son unique et sans motif : Faute ! Faute originelle ! »

(La Coupelle du Mendiant).

Portrait de Christine Lavant (dessin par Stefano Nubrini) Ainsi le programme est annoncé : Christine Lavant, blessée dès la naissance par des maladies plus ou moins graves qui la laisseront marquée dans son corps et son cœur, en portera à vie les stigmates, au point que sa poésie ne sera que cette longue et douloureuse déchirure de l’âme ; c’est ainsi qu’elle écrit, dans une lettre de 1960 :
« Je n’ai jamais été jeune… La certitude d’être exclue irrémédiablement ne m’a jamais quittée… Bien que je sois liée au malheur par une sorte de destin, je n’arrive plus maintenant à être vraiment malheureuse : ce ressort a cassé. Pour la joie, c’est différent : l’organe n’en a pas encore été très solllicité… »

Ces citations sont tirées du recueil « Les Étoiles de la faim » publié par les « Éditions de la Différence » dans la collection « Orphée ». Que Christine et Nils Gascuel, traducteurs de l’œuvre dont suivent deux poèmes, en soient remerciés…

Je veux partager le pain des fous,
prendre chaque jour un grand morceau d’horreur
et m’accorder à la cloche de ces cœurs
où niche une colombe
qui y trouve l’infime refuge
d’un désert au-dessus des eaux.
Longtemps j’ai été pierre logeant
au fond des choses.
Mais j’ai entendu la cloche
parler à voix basse de ton mystère,
la mystère des poissons volants.
J’apprendrai à voler, à nager,
je laisserai la pierre parmi les pierres
et la mélancolie dans un lit de nacre ;
mais j’exalterai la colère et la pauvreté.
Mes ailes sont plus anciennes que ta patience,
mes ailes ont volé plus vite que mon courage
pour accepter la folie.
Je veux partager le pain des fous
dans le terrible désert de la colombe
où la cloche divise en trois la grande horreur
pour que triplement sonne ton nom.

Dans l’odeur des fruits précoces
et des premières feuilles tombées,
le verger s’effraie, des oiseaux en exil
survolent sa tête en tournoyant.
Là-bas le ciel pâlit
et, dans une inhabituelle maigreur,
la lune va tendrement
vers le petit pâturage aux étoiles.
Vent du sud s’arme pour une longue
et sauvage Ascension.
Nuages du nord-ouest menacent sombrement,
dans le murmure fané des roseaux
s’inclinent crainte et ironie
et, dans le feuillage du saule, la mésange.
Tout va dans le cercle de Tristesse,
seul le son d’une cloche
célèbre l’exil des saisons,
mesure du Créateur,
et les fruits précoces glissent
heureusement dans l’herbe.

Christine Lavant

 

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