Thomas Bernhard, le poète du 15 avril

Lundi 15 avril 2013, par Mots Passants

Pour un nombre grandissant des poètes que nous présenterons désormais, nous nous sommes engagés à donner d’eux des introductions tirées du catalogue général de la revue Orphée, éditée aux « Éditions de la Différence » avec l’aimable autorisation de claude Michel Cluny, initiateur et continuateur de cette « Bible » de la poésie contemporaine. Compte tenu que la plupart des volumes qui paraissent dans cette collection sont en version bilingue, nous en citerons les traducteurs et vous donnerons les références de l’ouvrage.

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Portrait de Thomas Bernhard par Bernhard Schmied/Photopress

« Thomas Bernhard est né en 1931 et mort en 1989. Le titre de l’anthologie “Sur la terre comme en enfer” pourrait être le sceau apposé sur l’œuvre entier du célèbre romancier et dramaturge. Pourtant, si l’écrivain se consacra tout d’abord dix ans à l’écriture poétique, cette part de l’œuvre n’est guère connue en France que des spécialistes. Qu’il ait fallu attendre si longtemps avant d’entendre cette voix âpre aux modulations déconcertantes est inexplicable tant elle est proche, et son insistance prégnante : voix de la perte, de l’absence, du tragique innommable, de la présence du silence, elle émane de la terre, du quotidien affouillé, de la pauvreté du monde, des “filles à l’odeur de pommes” et de la boue des sentiers obscurs. Inscrite dans un continuum de l’âme germanique et de sa déraison, de Kleist à Trakl et Ilse Aichinger, elle nous parle de l’enfance, de la solitude, de l’appel du néant et des ombres. »

Le volume « Sur la terre comme en enfer » est publié aux « Éditions de la Différence » dans la collection « Orphée » il est traduit de l’allemand (Autriche) et présenté par Susanne Hommel.


TU NE SAIS RIEN, MON FRÈRE, DE LA NUIT

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
rien de ce tourment qui m’épuisait
comme la poésie qui portait mon âme,
rien de ces mille crépuscules, de ces mille miroirs
qui me précipiteront dans l’abîme.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
que j’ai dû traverser à gué comme le fleuve
dont les âmes sont étranglées depuis longtemps par les mers,
et tu ne sais rien de cette formule magique
que notre lune m’a révélée entre les branches mortes
comme un fruit du printemps.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
qui me chassait à travers les tombeaux de mon père,
qui me chassait à travers des forêts plus grandes que la terre,
qui m’apprenait à voir des soleils se lever et se coucher
dans les ténèbres malades de ma tâche journalière.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
du trouble qui tourmentait le mortier,
rien de Shakespeare et du crâne brillant
qui, comme la pierre, portait des cendres par millions,
qui roulait jusqu’aux blanches côtes,
au-delà de la guerre et de la pourriture avec des éclats de rire.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
car ton sommeil passait par les troncs fatigués
de cet automne, par le vent qui lavait tes pieds comme la neige.

— Thomas Bernhard

 

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