Adonis
Devant les visages qui se dessèchent
sous le masque du chagrin
je m’incline
Devant les routes sur lesquelles j’ai oublié mes larmes
devant un père qui est mort, vert comme le nuage
le visage sous la voile d’un navire
je m’incline
devant l’enfant vendu pour prier
et pour cirer les souliers
(dans notre pays, tous nous prions et cirons les souliers)
devant une pierre sur laquelle avec ma faim j’ai gravé
qu’elle est pluie ruisselante sous mes paupières
et éclair
devant une maison dont j’ai emporté la poussière
dans mon égarement
je m’incline—
tout cela est ma patrie
pas Damas.
Adonis, de son vrai nom Ali Ahmad Saïd Esber (Mémoire du vent ; Poèmes 1957-1990. Poésie/Gallimard)