« Tombé du ciel… »

Jeudi 16 décembre 2010, par Rose Calou

Tombé de la lune

Quand Armstrong posa pour la première fois son pied sur la Lune, il était si occupé à y planter le drapeau américain qu’il ne s’aperçut même pas qu’elle était vivante.
Les poètes le savent bien, eux, qui y logent leurs rêves, et Pierrot et Colombine, leurs amours !
Quand Armstrong donc, foula la lune, il y laissa par négligence une trace d’homme que Mère Lune s’empressa de couver à sa manière toute astrale. Il en résulta un métis lunaire qui l’enchanta mais, dont très vite, elle ne sut plus que faire.
Elle décida de le renvoyer sur terre.
La Lune, tout le monde le sait, peut pénétrer partout à la faveur de la nuit.
Elle enseigna à son petit métis l’art du toboggan et par une de ses nuits pleines, le laissa glisser doucement le long d’un rayon, vers une ferme aux volets mal joints.
Il atterrit dans un couloir où traînaient les gros souliers d’un vieux paysan désordonné. « Tombé de la lune » se nicha dans le pied droit (important le pied droit, car tout le monde sait que le pied gauche est celui qui vous met de mauvaise humeur… !) et attendit son destin.

Quelle ne fut pas la surprise du vieux désordonné, quand au matin il voulut se chausser pour aller au potager !
Qu’est-ce que c’est que cette bestiole ?
Elle tenait dans le creux de sa paume et le regardait de ses étranges yeux bleus faïence, sans rien demander.
Embarrassé, le vieux qui ne jetait jamais rien, fourra sa trouvaille dans sa poche et s’en alla faire son jardin comme à l’accoutumée.
Il la déposa dans un chou, par distraction et n’y pensa plus.

« Tombé de la lune » s’y installa confortablement pour passer sa deuxième nuit sur terre.
Ce fut une nuit sans lune, de celles où se forgent les grands mystères de l’humanité.
Les choux, tout le monde le sait également, servent de réceptacles aux bébés mâles.
Ce chou-là ne faillit pas à la légende de son espèce.
Il alla puiser dans la terre noire toute l’énergie qu’il put pour nourrir son hôte étrange.
Ce dernier acquit avec une bonne volonté étonnante et en un temps record, une taille tout à fait acceptable pour un petit humain.
Au matin, quand la fermière s’en alla quérir les légumes pour la potée du jour, elle découvrit un bébé un peu bizarre qui ronronnait dans le plus gros chou de la plate-bande.
Sa découverte la bouleversa car elle rêvait d’être grand-mère. Rêve difficilement réalisable puisqu’elle n’avait jamais pu avoir d’enfants.
Au lieu des légumes pour la potée, elle ramena dans son panier son étrange découverte et s’en alla la montrer à son vieux bonhomme de mari.
Celui-ci fit l’étonné et joignit ses exclamations à celles de sa femme.

Il fallut bien cependant passer aux choses sérieuses : qu’allaient-ils faire de ce « tombé de la lune » ?
— Le garder bien sûr, dit la vieille.
— Mais il est si bizarre ! Cette couleur de peau…
— Et la tienne, toute tannée qu’on n’en sait même plus la couleur, tu crois qu’elle est belle ?
— Mais ces yeux couleur de ciel cru ?
— Et alors, tu n’aimes pas le ciel ?
— Mais il n’a presque pas d’oreilles !
— Ça t’évitera de lui crier dessus pour qu’il les lave !
— Mais les voisins ?
— Ah, les voisins... On trouvera bien un conte qui tienne la route à leur servir !
— Et comment qu’on va l’appeler ?
— Pierrot bien sûr !
— On pourrait ajouter Noël ?
— Mais on n’est qu’en Novembre !
— P’têt bien, mais moi je lui trouve la tête d’un petit Jésus prématuré.

« Et puis, je vais t’avouer quequ’chose... », continua le vieux, penché sur le panier où “Tombé de la Lune” attendait sagement qu’on statue sur son état-civil. « Je me sens tout miel en dedans, comme quand j’étais gamin devant un cadeau de Noël que je n’avais pas demandé ».

La vieille se pencha à son tour sur ce Jésus particulier qui lui rendait le mari de son jeune temps.
La Lune, qui ne s’était pas couchée pour suivre le devenir de son métis, baignait d’une clarté d’argent cette crèche d’avant-saison.
— C’est d’accord, on l’appellera Pierrot-Noël. Mais, maintenant, faut parer au plus pressé. Descends vite à la ville pour acheter ce qu’il faut à notre petit. Et grouille !
— Tu sais quoi, dit le vieux en rigolant pour avoir le dernier mot, je vais peut-être bien t’acheter un rosier. Des fois que tu y cueilles un jour une petite Colombine !... Cela ferait de la compagnie au petit !

Un grand rire les secoua tous les deux, chose qui ne leur était pas arrivée depuis… des lunes !

Ah ! un dernier détail, on appelait la femme Sarah, et son homme Abraham, ce qui leur facilita la tâche pour expliquer la présence de cet enfant tombé du ciel…

— Rose Calou

 

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